On connaissait Johann Le Guillerm en acrobate de l’impossible, explorateur de l’équilibre, bâtisseur de cathédrales éphémères et génial dynamiteur des disciplines traditionnelles du cirque. Dans Secret, il marchait sur des goulots de bouteilles, surfait sur un mikado géant ou faisait danser la poussière en un tourbillon surnaturel… Un pionnier. Avec Le Pas Grand Chose, son corps silencieux, sanglé dans un costume trois pièces, prend enfin la parole pour une conférence pataphysique. Magnifiquement indocile.
Johann Le Guillerm est décidément un créateur unique en son genre. Lauréat du Grand prix national du cirque (1996), du Prix des arts du cirque SACD (2005) et du Grand prix SACD en 2017 pour l’ensemble de son oeuvre, il cherche, inlassablement, de nouvelles formes de dialectique, entre « architextures » et nouveau cirque.
Et s’il reprenait tout à zéro ? Partir de presque rien, un point, un niveau minimal. Observer, expérimenter, chercher des solutions pataphysiques, cette science du particulier qui a fait de l’exception sa règle et a ouvert la voie aux solutions imaginaires… Dès les premiers mots du Pas Grand Chose, on pénètre le cerveau d’un conférencier rebelle, qui « cherche le chemin qui n’irait pas à Rome ». D’affirmations au pied de la lettre en élucubrations ahurissantes, il teste, démontre, déduit, livre à vue le fruit de ses expérimentations aussi hasardeuses et loufoques qu’essentielles et vertigineuses. Une chorégraphie spirituelle, qui nous montrera ce que sait faire une banane, les mille façons d’éplucher une clémentine ou ce qu’il se passe lorsqu’on observe de profil le chiffre zéro.
Johann Le Guillerm nous avait jusque-là habitué au mutisme, fixant notre regard sur ses grands yeux d’aigle, son corps d’iguane et son agilité féline. Le voici désormais bavard, scientifique et philosophe ! Il n’avait pas seulement étudié l’acrobatie, mais aussi le clown. Cette dimension burlesque, inexplorée jusque-là, éclate dans Le Pas Grand Chose : un burlesque à la Buster Keaton, impavide et lunaire. Jubilatoire.
C’est décalé, insolite, génial, absurde, complètement imprévisible, mais construit avec une logique désarmante. LE FIGARO