La plus célèbre comédie de Marivaux inverse avec délectation les rôles sociaux sous couvert du jeu de la séduction. Mais l’amour pourra-t-il vraiment transgresser les lois tenaces de la société de classes ? Bientôt trois siècles après sa création, ce bijou théâtral apparaît tel qu’il est : aussi délectable qu’audacieux.
Il y a du progrès. Mr Orgon a choisi un bon parti pour sa fille. Mais il lui permet de le refuser si le coeur n’y est pas ! Pour étudier à loisir son futur mari, Silvia échange son « costume » avec celui de sa servante… ignorant que Dorante en a fait de même avec son valet. Chacun croit donc mener la danse, mais se retrouve follement épris de celui ou de celle qui lui est socialement interdit.e ! Mis dans la confidence, le spectateur observe comme eux ce drôle et cruel double jeu.
Le quatuor de jeunes comédiens choisi par Benoît Lambert, directeur du Centre dramatique national de Dijon, restitue à ce classique toute son acuité et sa fraîcheur. Derrière le masque de la comédie, l’intrigue pose les questions, toujours actuelles, de la force des préjugés sociaux et de l’aspiration à une égalité dont l’amour serait l’instrument. La pièce est aussi un bel hommage aux femmes qui, maîtresse ou servante, mènent presque tout du long ce jeu « de hasard ». Marivaux, fin observateur de ses pairs, est humaniste, mais non révolutionnaire. Les sentiments naissants, si les domestiques rêvent d’ascension sociale, les maîtres paniqués sont vite rassurés : tout est bien qui finit bien et rentre dans l’ordre.
Dans une nature factice, entre jardin d’hiver et laboratoire, cette jeune troupe rénove le marivaudage, ce jeu de séduction, qui au-delà du badinage, est aussi l’expression de ce que l’amour provoque d’émotions au plus profond de soi.
Le metteur en scène Benoît Lambert fait souffler un vent de fraîcheur sur la pièce la plus jouée de Marivaux. LA CROIX