TOUTE UNE NUIT SANS SAVOIR

PAYAL KAPADIA

Quelque part en Inde, une étudiante en cinéma écrit des lettres à l’amoureux dont elle a été séparée. À sa voix se mêlent des images, fragments récoltés au gré de moments de vie, de fêtes et de manifestations qui racontent un monde assombri par des changements radicaux. Le film nous entraine dans les peurs, les désirs, les souvenirs d’une jeunesse en révolte, éprise de liberté.

Toute une nuit sans savoir, premier long métrage de Payal Kapadia, jeune cinéaste indienne, crame la pellicule et brûle l’écran. Sa photogénie vibre de chagrin, avant de trembler de colère, un gouffre de joie au fond du cœur. Il faut tout mettre dans un film, réinventer les vieilles formes, retremper les images dans la vie, fictionner le réel indicible, raconter l’époque qui nous blesse et les émotions qui nous tuent. (…) L’ensemble forme un cinétract entièrement fait avec des sentiments, sur fond de guerre à la jeunesse et de propagation du fascisme. Les récits de rêves, essentiels à sa narration mais surtout à sa construction qui avance par transitions absentes, toute une neurologie onirique, se muent en cauchemars politiques. La science du rêve mute au fil du film en interprétation de la grève, et bientôt en protestation, en appel à la résistance. (…) C’est un film sur le cinéma, encourageant son existence, une adresse à ceux qui le voient, le rêvent, le font. Le discours d’un professeur, à la fin, après la lutte, dans une fragile assemblée, envoie ses élèves dans le réel, les appelle à filmer sans oublier ce qu’ils viennent de vivre, fidélité à l’événement, à la chaleur qui le compose et qui peut être partagée, reproduite ailleurs. Transmise comme une lettre qui aurait enfin, contrairement à celles de L., trouvé ses destinataires.
LUC CHESSEL in LIBÉRATION, LE 15 JUILLET 2021