Arnaud, c’est mon petit frère. Un jour, je me suis rendue compte qu’il était déjà grand. Il est né là où on ne choisit pas et cherche ce qu’il aurait dû être. Libre.
« Il n’y a qu’à voir comment cela commence : le scooter fonce avec fracas, et la réalisatrice compose avec cette place paradoxale, collée à son frère mais réduite à ne capter de lui que la nuque. Au départ pourtant, Arnaud se plie de bonne grâce au protocole documentaire de sa sœur. Mais son enfance lui a forgé un corps fait pour s’évader, la muscu et la peinture ne suffisent pas à le calmer. Il cherche toujours le point de fuite, et s’échappe irrémédiablement vers le large, la profondeur de champ, condamnant sa sœur à le filmer en train de partir. Pourtant quand il parle de « refaire sa vie en Espagne », on croit au rêve illusoire d’un garçon que la société ne cherche qu’à enfermer. C’est à ce moment-là que Soy libre bascule et prend une autre ampleur. Car en Espagne, Arnaud y va, et il ne s’arrête pas là : il ira jusqu’au fin fond du Pérou. Avec ce départ, c’est tout le portrait d’Arnaud qui se dédouble. D’un côté les images de Laure, et de l’autre les images d’Arnaud lui-même, journal filmé qui documente son trajet solitaire pour sa sœur. D’un côté le personnage qui nourrit une forme cinématographique consciente tout en résistant aux injonctions de mise en scène, de l’autre l’autoportrait d’un jeune homme en quête du personnage qu’il veut devenir. Si Soy libre est si émouvant, c’est parce qu’il ne tranche pas entre ces deux versions d’Arnaud, mais les superpose. Il en émane un personnage à l’émotivité radicale. »
LOUIS SÉGUIN – CAHIERS DU CINÉMA, 11 juillet 2021