L’AMITIÉ

ALAIN CAVALIER

J’ai intensément partagé le travail cinématographique avec certains, jusqu’à une amitié toujours vive. Filmer aujourd’hui ce lien sentimental est un plaisir sans nostalgie. Nos vies croisées nous permettent cette simplicité rapide de ceux qui ne se racontent pas d’histoires, qui savent être devant ou derrière la caméra, dans un ensemble de dons et d’abandon au film. ALAIN CAVALIER

Qu’il filme le parolier de Bashung, Boris Bergman, avec qui Cavalier eut un temps un projet de film, Maurice Bernart, le producteur franc-tireur de Thérèse ou Thierry Labelle, l’acteur non professionnel de Libera me, le cinéaste fait jaillir du plus trivial détail de leur quotidien une intensité rare. «J’veux l’feuilleton à la place», chante Bergman après avoir aussi régalé son ami d’un autre chant, yiddish. Le feuilleton, c’est ce que propose le tressage temporel précis qu’effectue Cavalier en dialoguant parfois derrière la caméra, renvoyant à une relation établie de longue date, mais qui ne vibre que dans le présent du plan. Le film est toujours un travail en commun, mais l’amitié ouvre aussi, dans chacun des trois segments, sur le couple : les présences féminines, cachées-montrées, s’avancent parfois au premier plan (Bernart est marié à Florence Delay, écrivaine et Jeanne d’Arc pour Bresson), peut-être parce que Cavalier ne s’est intéressé au fond, qu’à une seule pièce : la chambre, qu’elle prenne la forme d’une cellule monacale (Thérèse), d’une scène pour la conjugalité (Martin et Léa, La Rencontre), d’un atelier (24 portraits), des trois à la fois (Bonnard), ou d’un habitacle foutraque (Le Plein de super). « Je t’ai toujours connu avec des toutes petites chambres », fait-il remarquer à Bernart, qui vit pourtant dans l’opulence. CHARLOTTE GARSON – VERTIGE DE L’AMITIÉ AU FEMA, CAHIERS DU CINÉMA, SEPTEMBRE 2022