CHRONIQUE D’UNE LIAISON PASSAGÈRE

EMMANUEL MOURET

Une mère célibataire et un homme marié deviennent amants. Engagés à ne se voir que pour le plaisir et à n’éprouver aucun sentiment amoureux, ils sont de plus en plus surpris par leur complicité…

Emmanuel Mouret, cinquante-et-un ans, grand praticien de l’algèbre amoureux, d’obédience marivaudienne, livre avec son onzième long-métrage une réduction à l’os de son cinéma. L’équation qu’il déplie sous nos yeux s’inscrit en des termes on ne peut plus élémentaires : un homme, une femme, soit le minimum requis pour raconter une histoire d’amour qui soit aussi un petit précis des rapports embrouillés entre les sexes. […] En bon « dix-huitièmiste » (Mademoiselle de Joncquières était inspiré de Diderot), le cinéaste offre une variation sur un problème bien connu de philosophie morale, celui de la non-concordance du vouloir et du faire. Pourquoi Charlotte et Simon s’expriment-ils à rebours de ce qu’ils semblent chacun désirer profondément ? Pourquoi s’entretiennent-ils dans une fiction de pratique et de rationalité, alors qu’ils s’aiment de toute évidence, et que cet amour les oblige ? Tout le film est délicieusement tissé d’écarts de langage, de trébuchements dans la parole, d’ironie ciselée, comme autant de brèches laissant deviner toute la part inconsciente qui travaille les personnages. […] Orfèvre de la maladresse sentimentale, soucieux d’expurger la romance de sa part la plus dramatique, Mouret confie à ses deux comédiens une partition funambule : celle d’incarner ce charmant travers de l’être amoureux qui consiste, sous le regard de l’autre, à se mentir à soi-même.

MATHIEU MACHERET – LE MONDE, 21 MAI 2022